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Priscus ne bougea pas. Chanao le saisit et tenta de lui enlever sa bure. Ninian, glacé d’horreur, prit les autres moines à témoin.
— Mes frères, les supplia-t-il, cette punition est excessive ! Priscus a mal agi, mais Jésus-Christ a prôné le pardon et l’indulgence. N’a-t-il pas protégé la femme adultère ? Son péché était pourtant plus grave que la gourmandise de Priscus !
Les moines baissèrent les yeux. Frère Pandarus, seul, paraissait sur le point d’intervenir. Mais l’abbé s’emporta.
— Tu défies encore mon autorité, frère Ninian ? Tu incites tes frères à la rébellion ? Es-tu donc possédé par un démon, toi que j’ai connu si pieux et si docile ? Pourquoi défendre ce misérable ? Est-ce lui, le démon qui t’inspire ? Tu évoques la femme adultère ? Belle comparaison, en effet !
Il s’approcha de Ninian, pointant vers lui le fouet qu’il tenait à la main. Ses yeux brillaient méchamment.
Ninian ne recula pas. Une fureur implacable l’avait envahi.
Balayant la peur et les remords, elle naissait du plus profond de lui, nourrie de mille colères étouffées avant d’avoir éclaté, de mille vexations niées et tues. Inconscient de l’exaspération du jeune moine, l’abbé continuait :
— Sais-tu quels péchés sont aussi abominables aux yeux de Dieu que l’adultère ? L’inceste, frère Ninian, et l’amour interdit que certains hommes pratiquent entre eux. Pensez-vous que je ne me suis pas aperçu de la complicité qui vous lie ?
Budic, qui se tenait à côté de Ninian, poussa une exclamation affolée et se signa plusieurs fois. Chanao eut un ricanement de joie mauvaise.
— Inutile de demander qui vous a mis de telles idées en tête, répliqua Ninian d’une voix qui tremblait de rage. Je ne veux même pas répondre. Laissez-nous quitter cette communauté si vous nous en jugez indignes. Pour ma part, je ne souhaite plus rester parmi vous.
Cette fois, ce fut Chanao qui s’écria avec rage :
— Tu ne nies pas, bête impure ! Et tu crois qu’il suffit de partir pour que vos fautes soient effacées ? Ce serait trop facile !
— Trop facile, en effet ! reprit l’abbé. Vous partirez, oui, mais pas sans avoir été châtiés comme vous le méritez !
L’abbé leva son fouet et l’abattit avec rage sur Ninian.
Le jeune homme leva le bras à temps pour éviter que la lanière de cuir ne touche son visage. La large manche de la bure le protégea et amortit le coup.
Mewen se détourna de lui et voulut frapper Priscus. Ninian se jeta sur son supérieur, déterminé à lui arracher son arme. Il attrapa le manche du fouet, tira de toutes ses forces sans que l’abbé lâche prise.
— Je vous maudis ! cria Mewen. Toi et Priscus ! Impies ! Moines dévoyés ! Je vous chasse et vous maudis !
Ninian ouvrit les mains. L’abbé, qui tirait toujours aussi violemment sur le fouet, fut projeté en arrière et tomba lourdement. Sa tête heurta une pierre avec un bruit sourd et il s’immobilisa. Une flaque de sang apparut sous le crâne de Mewen. Il y eut un silence effrayant.
— Il l’a tué ! hurla Chanao. Ninian a tué notre abbé.
Alors Ninian et Priscus s’enfuirent en courant.